La carte géologique est une représentation de l’espace et du temps. Parfois, ce support technique évoque les peintres à l’origine de l’art abstrait. Voici l’exemple d’une rencontre entre la science et l’art : une partie du vignoble alsacien mis en parallèle avec une œuvre de Paul Klee.
Détail de la carte géologique de Colmar-Artolsheim (J. G. Blanalt (dir.), Carte géologique France (1/50 000), feuille Colmar-Artolsheim (342), Orléans, BRGM, 55 p, 1972).
Entre Ribeauvillé au nord et Colmar au sud, le vignoble alsacien s’étale sur les collines sous-vosgiennes. C’est notamment le secteur des grands crus Froehn (Zellenberg), Rosacker (Hunawihr), Schoenenbourg (Riquewihr), et Sporen (Riquewihr).
Paul Klee, Architecture de pièce sur froid-chaud soit, pour le titre original : Raumarchitekturen (Auf Kalt-Warm). Collection privée. Aquarelle sur papier peinte à Munich en 1915.
Les cartes géologiques, en l’occurrence les feuilles du BRGM au 1/50 000, sont des outils indispensables pour comprendre l’un des paramètres du terroir : le sous-sol. Ces documents géologiques sont des cartes de temps : chaque couleur correspond à une époque géologique particulière. Les événements géologiques qui ont eu lieu ainsi que les phénomènes d’érosion déterminent la diversité des roches affleurantes. Ainsi, certaines cartes prennent un aspect bigarré, par exemple sur les massifs montagneux, ou uniforme, comme dans les plaines sédimentaires où n’affleure qu’une roche appartenant à un unique étage.
Sur la feuille n° 342 « Colmar-Artolsheim » parue en 1972, le jeu de failles des collines sous-vosgiennes laissent apparaître un dessin géométrique. Le chatoiement des couleurs, la structure faillée donnent une représentation très graphique de cette portion de la route du vin du Haut-Rhin. En effet, sur le secteur de Riquewihr, Hunawihr, Zellenberg, le Trias (marqué « t », tons chauds, jaune-orangé) contraste avec le Jurassique inférieur (marqué « I », tons plus froids, bleu, violet et rose). Marquant la transition entre, à l’ouest, les Vosges et, à l’est, le fossé rhénan, ces collines ont été très fracturées lors de l’orogénèse alpine (environ 30 MA). Les blocs délimités par les failles appartiennent à différents étages géologiques (t7 Keuper inférieur, I4b Domérien inférieur, etc…).
Peintre que j’affectionne particulièrement, Paul Klee (1879-1940) nous offre ici une aquarelle abstraite, peinte à une période où l’artiste séjournait à Munich. L’année précédente, Klee avait effectué un voyage en Tunisie qui allait être une grande source d’inspiration. Six ans plus tard, l’architecte Walter Gropius l’engage comme enseignant au Bauhaus à Weimar. Les paysages, l’architecture mais aussi la musique (on parle de tonalité pour les couleurs et le son…) sont des domaines que Klee affectionnaient. Sans en rechercher une esthétique, les auteurs de la feuille de Colmar-Artolsheim arrivent, avec une codification stricte, à une composition abstraite polychromique qui évoque celle du peintre suisse…