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Les vins blancs de macération en Touraine : compte-rendu de la conférence dégustée.

CONFÉRENCE DÉGUSTÉE
Villa Rabelais (IEHCA Tours) – Jeudi 6 février 2020
C
e qu’il faut retenir des vins blancs de macération en Touraine

Vins blancs de macération ou vins orange ?

Ce sont les anglo-saxons, qui, au début des années 2000 ont parlé les premiers d’orange wine, que nous avons traduit par « vin orange ». En 2004, un importateur anglais, David Harvey, a utilisé la dénomination orange wine pour qualifier la robe intense de vins blancs de Franck Cornelissen, vigneron installé en Sicile[1]. Au même moment, aux États-Unis, naissait un engouement pour les vins géorgiens. C’est en Géorgie où l’on produit le plus de vins orange. L’orange wine a conduit des américains à s’installer en Géorgie pour en produire, en suivant l’itinéraire de la vinification géorgienne en qvevri, ces grandes jarres en terre cuite enterrées. Cette vinification traditionnelle et naturelle en qvevri, a été inscrite par l’UNESCO au patrimoine culturel immatériel de l’humanité fin 2013. Ces néo-vignerons appellent parfois leurs vins blancs de macération, amber wine, soit vin ambré, ou encore skin contact[2], soit vin de macération. Cette dernière dénomination n’est pas assez précise puisque les vins rouges sont aussi des vins de macération.

La dénomination « vin orange » fait polémique parmi les sommeliers et les journalistes du vin. Certains prétendent que cela désigne un énième effet de mode et que « vin orange » n’est qu’une dénomination marketing. Et d’autres rappellent, à juste titre, que tous les vins orange n’arborent pas tous une robe orangée. Mais les vins rosés non plus, puisqu’ils peuvent aller du translucide au vermillon.

On distingue généralement les vins par leurs couleurs (rouge, blanc, rosé, gris, jaune) et plus rarement par leur type de vinification (par exemple « méthode traditionnelle » pour les vins mousseux, « vin de voile » pour les vins oxydatifs). Alors oui, « vin blanc de macération » est la terminologie la plus exacte mais « vin orange » n’est pas à bannir.

Définition et élaboration

Un vin blanc de macération ou vin orange est un vin blanc issu de raisins blancs mais vinifié comme un vin rouge. Ce vin est donc pensé comme un vin rouge et reste classé dans les vins blancs. C’est cette singularité qui déroute encore l’univers de la dégustation.

Pour un vin blanc tranquille classique, les raisins blancs sont pressés directement. Suit le débourbage, où les éléments grossiers en suspension non désirés dans le moût sédimentent au fond d’une cuve par l’action du froid. Puis le moût fermente : c’est la fermentation alcoolique, où les levures transforment le sucre en alcool.

Pour un vin rouge, les raisins noirs sont d’abord foulés : on éclate les baies pour que le jus soit en contact avec la peau. La macération qui suit le foulage peut durer quelques jours à trois semaines. C’est pendant cette macération que se déclenche la fermentation alcoolique. Se forme un chapeau de marc (composé des parties solides : peaux et parfois rafles) qui flotte sur le jus, poussé par le CO2 dégagé lors de la fermentation alcoolique. On passe alors à l’extraction (qui consiste à extraire couleur et tannins contenus dans la pellicule de la baie) en effectuant des pigeages ou des remontages. Puis c’est le décuvage : on sépare le chapeau de marc du jus. Ce dernier est écoulé par le bas, c’est ce que l’on appelle le vin de goutte. Le marc, encore imbibé du jus, part au pressurage, c’est le vin de presse. Ce dernier est plus tannique et plus coloré que le vin de goutte. Puis c’est l’élevage.

Les vins blancs de macération suivent l’itinéraire de vinification du vin rouge.

Les maturités alcooliques et phénoliques sont requises pour le vin orange. Il faut avoir respectivement une bonne accumulation des sucres au détriment de l’acidité et des composés phénoliques extractibles. L’optimum de la maturité alcoolique dure plus longtemps que pour celui de la maturité phénolique. Une hausse de la chaleur augmente la production de sucres d’où une maturité alcoolique de plus en plus hâtive après un été chaud[3]. Et il est délicat de faire coïncider ces deux maturités pour décider la date des vendanges.

Le choix de l’éraflage appartient au vigneron. Contrairement à une vinification avec raisins éraflés, le choix de vinifier en grappe entière permet d’obtenir une solide structure tannique.

Néanmoins le temps de macération pelliculaire peut être égal à celui effectué pour le vin rouge. Il peut être aussi beaucoup plus long. Ainsi, d’un vigneron à l’autre, on a des macérations pelliculaires qui peuvent durer une semaine, plusieurs mois, un an, voire plus, comme c’est souvent le cas en Géorgie.

La macération pelliculaire est une méthode naturelle d’extraction d’arômes, de tannins et de couleur. Ces longues macérations s’apparentent à une infusion. Si on connaît bien la macération des raisins noirs, on connaît mal la macération pelliculaire des raisins blancs, surtout la macération longue en phase fermentaire. Quelques écrits existent sur la macération pelliculaire pré-fermentaire sur raisins blancs, qui est une macération de quelques heures avant le pressurage destinée à l’extraction aromatique. Malgré cela on connaît quelques caractéristiques de la macération pelliculaire sur les raisins blancs : on sait qu’elle fait baisser l’acidité totale du vin, qu’elle permet d’avoir un vin sec sur des millésimes solaires par la transformation de tous les sucres fermentescibles en alcool, qu’elle apporte une plus forte concentration en arômes (arômes secondaires et tertiaires), une couleur plus soutenue et parfois une astringence aussi prononcée que sur certains vin rouges. Le jus orangé est donc dû à la couleur des composés phénoliques extraits de la pellicule. Et l’oxydation de ces composés phénoliques donne une couleur plus intense. Ce phénomène est lié à une macération plus longue et à une température plus élevée, ce que ne permet pas la vinification classique d’un vin blanc.

VIN BLANC DE MACÉRATION ET COULEUR

La baie d’un raisin se compose  de pépins, les graines du raisin, de la pulpe ou mésocarpe, et de la pellicule, ou exocarpe[4]. Sur les quelques 10 000 cépages existant recensés par le regretté Pierre Galet, le célèbre ampélographe, qu’ils soient noirs, blancs (les principaux), dorés, gris, roses, rouges ou verts, la pulpe donne un jus incolore. Une exception  toutefois : les rares variétés noires, les teinturiers, ont un jus rouge. Ce sont, parmi d’autres le Gamay fréaux, l’Alicante Bouschet ou encore le Teinturier, autrefois très répandu en Touraine avant le phylloxéra. Ce n’est pas donc pas le jus qui colore mais la peau, cette fameuse pellicule qui protège la baie. C’est dans la pellicule que s’accumulent les pigments donnant la couleur aux vins. Et c’est dans les cellules de l’hypoderme, c’est-à-dire les couches les plus profondes de la pellicule où se trouvent la quasi-totalité des substances aromatiques, des matières colorantes et une grande partie des tannins[5]. Pendant la véraison, la peau perd de la chlorophylle et commence à synthétiser et accumuler les composés phénoliques qui donneront les couleurs des futurs vins orange.

Les composés phénoliques sont des molécules possédant une fonction hydroxyle ou phénol –OH sur un noyau benzénique à six carbones, dit aussi cycle aromatique, les fameux hexagones des formules chimiques développées. Et quand nous avons plusieurs groupes phénols sur un cycle aromatique, nous sommes en présence de polyphénols.

Il existe deux grandes catégories de composés phénoliques : les non-flavonoïdes et les flavonoïdes (du latin flavus, couleur proche du jaune). La première renferme les acides phénols et les stilbènes avec le célèbre resvératrol si précieux pour la santé même si ce n’est pas le plus antioxydant des polyphénols. La seconde, celle qui nous intéresse plus particulièrement, se divise en trois principales – il y en a d’autres – catégories.

  • Les flavanols ou flavan-3-ols sont connus sont le nom de tannins ou proanthocyanidines. On les trouve surtout dans les pépins. Ce sont eux qui sont responsables de l’astringence, c’est-à-dire du phénomène d’assèchement de la cavité buccale. La macération pelliculaire extrait davantage les tannins des pépins que sur un vin blanc classique. Les vins orange sont plus riches en tannins astringents qui s’extraient lentement de la peau.
  • Les anthocyanes (du grec anthos la fleur, kuanos, cyan, bleu) sont responsables de la pigmentation rouge-bleue des raisins noirs mais aussi d’autres fruits et de nombreuses fleurs. Ils sont extraits pendant la macération de la vinification des raisins noirs. Il n’y a pas d’anthocyanes dans les raisins blancs mais une petite quantité sur les cépages gris. Ces derniers sont utilisés pour les vins orange et donnent une robe cuivrée.
  • Les flavonols. Ils sont responsables de la pigmentation jaune pâle des raisins blancs. Il y en a aussi dans les raisins noirs mais ils sont masqués par les anthocyanes. Les flavonols s’accumulent juste après la floraison pour une première synthèse et de la véraison jusqu’à la maturité phénolique pour une seconde synthèse[6]. Ces pigments jaunes s’accumulent dans les baies à maturité, notamment en réponse à l’exposition aux ultra-violets. Ils ne sont présents que dans la pellicule, en faible proportion. Dans les raisins blancs, le principal flavonol est la quercétine, soit plus de 80 % des flavonols du raisin blanc. Sa teneur varie entre 0,01 et 1,94 mg/l selon le cépage et l’appellation. Elle se trouve dans de nombreux légumes ou dans le chêne (Quercus en latin).

En s’oxydant, ces pigments jaune-pâle subissent un brunissement, ce qui engendre une coloration plus marquée, du jaune doré[7] à un orange franc voire foncé. Le brunissement d’une pomme à la découpe illustre ce phénomène qui est une réaction contre l’agression. Cette oxydation transforme les polyphénols dont fait partie la quercétine, en quinones. Ces dernières apparaissent par oxydation chimique (les fonctions phénols sont remplacées par les fonctions cétones) et par oxydation enzymatique. Pour celle-ci, les PPO (polyphénol-oxydases désignant en fait trois catégories d’enzymes) sont les enzymes qui catalysent l’oxydation des polyphénols. Ce brunissement enzymatique augmente en fonction de la température et du pH : elle est moins active quand le pH est bas, donc acide. Et avec des cépages plus acides (Chenin, Riesling, Sauvignon), la robe du vin sera moins orangée qu’avec des cépages plus doux (Pinot gris, Gewurztraminer). La couleur n’est qu’une conséquence (parmi d’autres) de l’oxydation enzymatique des polyphénols. Ce brunissement s’observe à l’automne sur les feuilles des arbres caduques…

D’ailleurs avec le temps tous les vins évoluent vers le brun : vers le tuilé pour le vin rouge où la lumière absorbée passe du bleu au jaune ; et du jaune pâle vers le doré voire l’acajou pour certains vins blancs. Quoi qu’il en soit, les vins blancs de macération doivent leurs couleurs par cette longue macération pelliculaire où sont extraits les pigments des raisins blancs avant d’être oxydés pour devenir plus foncés, orangés par exemple. Et quel que soit le contenant de vinification et d’élevage.

VIN BLANC DE MACÉRATION ET TERRE CUITE

Tous les vins blancs de macération ne sont pas des « vins d’amphore » puisque que l’on vinifie les vins orange aussi bien dans des barriques que des cuves béton ou inox. Et tous les « vins d’amphore » ne sont pas des vins blancs de macération : on y vinifie également des rouges, des blancs et des rosés. Par ailleurs, on devrait plus parler de « vin de jarre » comme dénomination générique pour les vins élevés et parfois vinifiés dans un contenant en terre cuite. L’amphore, dont l’origine est probablement la Grèce, est un contenant à deux anses au volume modeste (20 à 30 l) qui servait au stockage et au transport. La jarre ne possède pas d’anses, son volume est variable et sa forme bombée. La confusion vient des vignerons italiens, pionniers du vin orange en Europe occidentale, qui ont traduit qvevri par anfora, amphore en italien. Les français découvrant les vins blancs de macération italiens ont appelé ces vins « vins d’amphores ». Or le qvevri appartient à la famille des jarres : l’utilisation de giara (jarre en italien) aurait été plus indiquée.  Les jarres, se déclinent en dame-jeanne destinée à l’élevage de 100 l (1 hl),  en dolia (de 1 000 à 4 000 l), ou encore en qvevri (1 500 – 2 000 l).

L’utilisation de jarres de plusieurs hl pour la vinification remonte avec certitude à au moins 6 000 – 5 000 ans avant notre ère. Ces jarres seraient les ancêtres des qvevri actuels. La terre cuite et les vins blancs de macération nous amènent aux origines de la viticulture et de la vinification.

ORIGINE

Si les vins blancs de macération sont souvent associés à la Géorgie et à la vinification en qvevri, c’est que c’est dans ce pays du Caucase où l’on en produit le plus et à priori depuis le plus longtemps. Certains ont cru que c’était un nouveau type de vinification. En réalité, il n’en est rien. À contrario, on ignore si les vins orange datent de l’Antiquité. Pour certains chercheurs, tous les vins blancs étaient en fait des vins orange. Mais rien ne le prouve.

Avec l’Arménie, la Turquie (Monts Taurus en Anatolie), le nord de l’Irak et l’Iran (nord des Monts Zagros), la Géorgie est le berceau de la viticulture. Si cette acception est justifiée, il est en revanche plus délicat de dater l’origine des vins orange.

Le docteur Patrick McGovern (spécialiste dans l’analyse des résidus organiques fossilisés) et son laboratoire d’archéologie biomoléculaire de l’université de Pennsylvanie, Philadelphie, découvraient en 2017, à 50 km au sud de Tbilissi, deux sites : Shulaveris Gora et Gadachrili Gora, huit grandes jarres en céramique de 300 l, datant du Néolithique ancien (6 000 avant notre ère)[8]. On y a mis en évidence des traces d’acide tartrique (l’acide organique le plus important du vin) et de trois acides organiques associés : malique, succinique et citrique. À la différence de toutes les autres analyses de vins fossilisés, on n’y a trouvé ni résine comme celle de térébinthe, le soufre de l’époque, ni additifs (miel, herbes aromatiques et médicinales, céréales). Ces vins avec additifs allaient être présents plus tard dans tout le Proche-Orient et en Méditerranée. C’est donc la première fois que l’on trouve un résidu correspondant à un vin pur, sans additifs.

Mais de quelle couleur étaient les premiers vins ? Vinifiait-on des vins spécifiquement blancs ou orange ? Rien ne l’indique. Il semble que tous les raisins, issus de vignes sauvages ou domestiques, noirs ou blancs, devaient être vinifiés ensemble, après une macération. Donc les blancs subissaient aussi une macération en phase fermentaire.

DIFFUSION

En Europe occidentale, c’est à la frontière Italo-slovène que cette vinification prit son essor, associée à la découverte des qvevri géorgiens. Au début des années 1990, dans le Nord-Est de la botte, en Frioul-Vénétie Julienne, des vignerons comme Josko Gravner ou Stanko Radikon ce sont appropriés cette technique de la macération pelliculaire des raisins blancs. Mais la découverte des jarres géorgiennes n’est peut-être pas été la seule impulsion à élaborer des vins orange. Il semble exister en Europe centrale une longue tradition où la macération pelliculaire sur raisins blancs était pratiquée. En effet, en 1844[9], un prêtre slovène de la région de Goriška, Matija Vertovec (1784-1851), mentionne dans un texte sur la vigne les bénéfices d’une macération pelliculaire des raisins blancs de 24 à 30 jours, notamment pour assurer une fermentation complète. La Slovénie, mais également la Croatie, la Roumanie et la Slovaquie, ont perpétué cette tradition des vins orange. Difficile de savoir si la technique de la macération pelliculaire des raisins blancs s’est diffusée de Géorgie pour atteindre l’Europe centrale ou si la technique s’est développée dans différents lieux en même temps ou à des périodes différentes. En Italie, du Frioul il y a eu diffusion de l’Emilie-Romagne à la Sicile, en passant par la Toscane. Cette région, où se sont installées de nombreuses fabriques de jarres, est connue pour la qualité de ses argiles. C’est depuis l’Italie que la France a succombé aux vins orange. Les vins blancs de macération sont également produits en Autriche, Suisse, Grèce, Espagne et au-delà du vieux continent, en Australie, Nouvelle-Zélande, Afrique-du-Sud ou encore aux États-Unis et au Québec.

On compte au moins une bonne centaine de vignerons en France pratiquant cette vinification. Ces vignerons sont à 95 % en agriculture biologique/biodynamique ou en vin nature. Mais la macération longue des raisins blancs demeure encore marginale, même si la France est le second pays européen à produire des vins orange, après l’Italie.

À priori, c’est Alain Viret à Saint-Maurice-sur-Eygues, dans le sud de la  Drôme en 2005, qui est le premier à adopter cette technique vinicole. Quelques années plus tard, les alsaciens, comme Jean-Pierre Rietsch à Mittelbergheim dans le bas-Rhin ont poursuivi dans cette voie. Et c’est en Alsace où les blancs de macérations sont le plus produits. Suit le Languedoc-Roussillon où beaucoup de néo-vignerons se sont installés pour produire des vins nature. Puis, la Loire, le Sud-Ouest et le Jura. Les vins orange deviennent rares en Provence Alpes Côte-d’Azur, dans le Bordelais (malgré des essais sur Sémillon) et en Bourgogne même si sur l’Aligoté de plus en plus de vignerons s’y essaient. Ces vins semblent absents en Champagne.

Du pays nantais au Sancerre, la Loire est devenue depuis une petite dizaine d’années une terre de blancs de macération. La grande diversité de ses cépages blancs (et gris) a conduit naturellement quelques vignerons à utiliser cette vinification. Ainsi Sébastien Riffault à Sancerre sur Sauvignon, Jérôme Bretaudeau en Muscadet sur Pinot gris, Thierry Germain ou Sylvie Augereau en saumurois, sur Chenin, ou encore Reynald Héaulé dans l’Orléanais à nouveau sur Pinot Gris.

En Touraine (on parle ici de la Touraine viticole : Indre-et-Loire et l’Ouest du Loir-et-Cher), une douzaine de domaines se sont lancés dans les vins orange. Ces vins restent difficile à trouver et assez onéreux, ce qui est compréhensible avec un itinéraire vinification/élevage long. Les gels printaniers de ces dernières années n’ont pas permis pour certains de poursuivre la production de blancs de macération. Grand promoteur du qvevri, Thierry Puzelat est l’un des initiateurs des vins orange en Touraine. Des vignerons comme Xavier Weisskopf à Dierre sur Chenin, Gérard Marula à Thizay sur Chenin ou Laurent Lebled à Châtillon-sur-Cher sur Orbois se sont essayés aux longues macérations des raisins blancs.

CONCLUSION

Quelques journalistes parlent des vins orange comme de la 4e couleur du vin[10]. Cependant ils demeurent confidentiels sur nos tables et chez les cavistes. Les vins blancs de macération sont injustement méconnus et parfois sujets à polémiques. Ces vins bousculent le milieu viti-vinicole, les références sensorielles habituelles des sommeliers et des consommateurs et ouvrent de nouveaux horizons gustatifs. À la fois alternative et complémentarité aux vins blancs classiques de Touraine, les vins orange permettent une approche singulière des cépages ligériens.

Un événement, qui a lieu tous les ans dans une ville différente chaque année (Amsterdam en 2019) : « Orange Wine Revolution ».

Un livre sur le sujet, en anglais : « Amber Revolution » de Simon J. Woolf (2018), Interlink Books, 300 p.

Un article-dégustation : la Revue du Vin de France n° 639 (Mars 2020) propose un dossier spécial « Révolution orange » sur les vins blancs de macération français.

DÉGUSTATION

vins blancs de macération Touraine

Vin n°1
Domaine des Grandes Espérances, Maison Saget – La Perrière, 41 150 Mesland.
VDF, « Le Génie Orange » 2017, en conversion AB. 100 % Chenin. Sur argiles à silex.
Grappes entières, 3 à 4 mois de macération pelliculaire dans des fûts ou des jarres, pigeages tous les deux jours. Assemblage après la presse des vins de goutte et de presse pour l’élevage.
Robe jaune-orangée assez claire, notes d’herbe séchée à l’attaque. Citron confit puis orange amère. Surprenante finale sur le curcuma.

Vin n°2
Domaine Bertrand et Lise Jousset, 37 270 Montlouis-sur-Loire.
VDF, « Macération » 2017, en bio. 100 % Orbois (Menu Pineau). Sur argiles à silex.
Éraflage à la main. Macération pelliculaire de 10 mois,  pas d’intervention extractive. Pressurage et assemblage du vin de goutte et du vin de presse. Selon le millésime, élevage de 6 mois à un an. Cuve inox (comme c’est le cas ici) ou barrique de 600 l.
Robe jaune foin, nez à la fois sur les petits fruits rouges et la primevère officinale. En bouche, l’acidulé s’estompe au profit de la douceur. Notes de Quetsche. Longue finale sur la reine-claude.

Vin n°3
Pascal et Béatrice Lambert, 37 500 Cravant-les-Coteaux.
VDF, Ligeris Dolium 2018, en biodynamie. 60 % Chenin, 40 % Pinot Gris. Sur Tuffeau jaune.
Éraflage, 11-12 semaines de macération pelliculaire dans des jarres en terre cuite (cépages séparés), léger remontage avant la fermentation alcoolique. Pressurage puis 7 mois d’élevage en jarre (grès) de 600-700 l, de Toscane. Pas de fermentation malo-lactique.
Robe cuivrée très intense. Un nez évoquant les spiritueux, en particulier le Cognac. Bouche suave, florale (fleurs jaunes), réglissée. Finale sur les raisins secs, le moka.

Vin n°4
Les Cailloux du Paradis, Etienne Courtois, 41 230 Soings-en-Sologne.
VDF, Or’ Norm’ 2015, en Nature et Progrès. 100 % Sauvignon. Argiles caillouteuses, sables.
Macération pelliculaire d’un an, deux ans d’élevage sous voile.
Robe jaune, reflets orangés. Le vin conserve une fraîcheur étonnante. Notes de fruit de la passion, pêche. Les arômes liés à l’oxydatif sont très discrets. Bouche équilibrée entre l’acidité et la douceur. Finale sur le poivre rouge.

BIBLIOGRAPHIE

L. Baumes et al. (1989), La macération pelliculaire dans la vinification en blanc – incidence sur la composante volatile des vins, INRA Montpellier, INRA Gruissan, 48 p.

Alain Carbonneau et al. (2015), Traité de la vigne, 2e édition : Physiologie, terroir, culture, Dunod, Paris, 592 p.

Alice Feiring (2017), Skin contact, Voyage aux origines du vin nu, Nouriturfu, Paris, 188p.

Nada El Darra (2013), Les composés phénoliques des raisins : étude du potentiel qualitatif et des procédés émergeants d’extraction. Thèse  de doctorat sous la direction de Nicolas Louka, Université de technologie, Compiègne, 344 p.

Camila Gomez (2009), Étude des mécanismes de stockage des anthocyanes dans la baie du raisin, caractérisation fonctionnelle des gènes impliqués dans ces mécanismes. Thèse de doctorat sous la direction de Guy Albagnac et Véronique Cheynier, Montpellier Supagro, 194p.

Zouid Imen (2011), Étude de l’évolution et de l’extractibilité des composés phénoliques du raisin en milieu hydroalcoolique pendant la maturation, lien avec les propriétés mécaniques de la baie. Thèse de doctorat sous la direction de Frédérique Jourjon, École supérieur d’agriculture d’Angers, 307 p.

Maria Nikolantonaki (2010), Incidence de l’oxydation des composés phénoliques sur la composante aromatique des vins bancs. Thèse de doctorat sous la direction de Philippe Darriet, Université Victor Segalen Bordeaux 2, 278 p.

Pascal Reigniez (2019), Les premiers vignerons de l’humanité, pp 7-9, Revue des œnologues n° 173, octobre 2019.

Pascal Ribéreau-Gayon et al. (2012), Traité d’œnologie, tome 2 : Chimie du vin, Stabilisation et traitements), 6e édition, Dunod, Paris, 624 p.

Marc-André Selosse (2019), Les goûts et les couleurs du monde, Actes Sud, Arles, 345p.

SITOGRAPHIE (consultation en janvier 2020)

Orange is the new white?

Le vin orange, la 4ème couleur du vin

Un vin vieux de 8 000 ans attesté par l’archéologie en Géorgie

Forum de lapassionduvin.com : Protocole vinification vin orange en amphore

[1] Article de Bérénice Galand du 21 juin 2018 https://www.de-la-vigne.com/fr/orange-is-the-new-white-les-vins-blancs-de-maceration-delavigne/

[2] Dénomination reprise dans le titre du livre d’Alice Feiring (2017), Skin Contact, Voyage aux origines du vin nu, Nouriturfu, Paris, 188p, où il est question de Géorgie et de qvevri.

[3] Marc-André Selosse (2019), Les goûts et les couleurs du monde, Acte Sud, Arles, 345p, p 225.

[4] Camila Gomez (2009), Étude des mécanismes de stockage des anthocyanes dans la baie du raisin, caractérisation fonctionnelle des gènes impliqués dans ces mécanismes. Thèse de doctorat sous la direction de Guy Albagnac et Véronique Cheynier, Montpellier Supagro, 194p, p 5.

[5] Nada EL Darra (2013), Les composés phénoliques des raisins : étude du potentiel qualitatif et des procédés émergeants d’extraction. Thèse  de doctorat sous la direction de Nicolas Louka, Université de technologie, Compiègne, 344 p, p 27.

[6] Selon Downey et al., (2003). In Camila Gomez (2009), op. cit., p 11.

[7] Marc-André Selosse (2019), op. cit., p 217.

[8] Laurent Bouby (2017), Un vin vieux de 8000 ans attesté par l’archéologie en Géorgie, 27 novembre 2017 https://inee.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/un-vin-vieux-de-8-000-ans-atteste-par-larcheologie-en-georgie

[9] Article de Bérénice Galand du 21 juin 2018 https://www.de-la-vigne.com/fr/orange-is-the-new-white-les-vins-blancs-de-maceration-delavigne/

[10] Article du 12 juin 2017 (Avenue des Vins) https://www.lexpress.fr/tendances/vin-et-alcool/le-vin-orange-la-4eme-couleur-du-vin_1916985.html

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4 réflexions sur “Les vins blancs de macération en Touraine : compte-rendu de la conférence dégustée.”

  1. bonjour
    pour information il y a aussi un vigneron en Auvergne « le domaine de l’arbre blanc » qui élabore un blanc de macération avec du pinot-gris et du sauvignon blanc et gris depuis 2013
    6 mois de macération et deux ans d’élevage en amphore grès
    merci a vous pour cette article sur le vin orange
    Eric Durif en formation bac pro vitioeno

    1. Bonjour Eric,
      Merci beaucoup pour l’info, je savais que certains auvergnats faisaient des blancs de macération mais je ne connaissais pas ce domaine !
      Je suis ravi que l’article vous ait plu !
      Est-ce que vous avez abordé cette thématique pendant votre formation ?

  2. JEAN LOUIS TRIBOULEY

    bonjour Julien,
    merci pour cet article très complet sur les oranges, vigneron à Latour de France dans les Pyrénées Orientales, je m’essaie depuis trois ans à sortir un orange base muscat petit grain, 1200 bouteilles environ. C’est pour moi un vin « éclair », vendangé en août, macéré jusqu’en octobre, en bouteille en novembre. Ça sort pas mal, l’effet millésime est très marqué, les résultats sont différents chaque fois, surtout au niveau des textures, ce malgré une méthode très similaire, assemblage raisins égrappés, raisins entiers, petit mouillage journalier et au seau du chapeau pour éviter les oxydations, pressurage au bout de quatre six semaines, décantation en cuve résine, mise en bt. avec tout le gaz acquit en fermentation, sans so2. La première année à donné un vin très « foufou », tourbillon d’arômes litchi, agrumes variés, ananas, bouche très aérienne, à peine amère sur une jolie longueur, bon, du muscat petit grain quoi !
    Mais en fait, je sors de mon intention initiale qui était, au niveau de l’histoire des vins orange, d’ajouter un aspect finalement très « paysan », à poids égal presser un raisin blanc macéré et presser directement un raisin frais ça ne donne pas la même quantité de jus, au bénéfice bien sûr de la macération. Pour 1 hl de vin, 125-135 kg de macération, et en raisin frais – avec un pressoir pneumatique, donc moderne- il faudra 160-180 kg dans le meilleur des cas. Les moyens de pressurage « antiques » étant ce qu’ils étaient, c’est un aspect de l’histoire des vins orange qu’il ne faut, à mon avis , pas négliger. Merci encore pour cet article, JLouis tribouley.

    1. Bonjour Jean-Louis,

      Merci pour votre témoignage et vos remarques !

      Concernant les vinifications « antiques », on a en fait peu d’éléments fiables sur le sujet, mise à part les pressoirs rudimentaires qu’évoque notamment Patrick McGovern, LE spécialiste en archéologie bio-moléculaire. D’ailleurs, les blancs de macération d’aujourd’hui ne ressemblent probablement pas à ceux de l’Antiquité, s’ils existaient ! Quant à savoir si l’on assemblait raisins pressés directement et raisins macérés pressés, mystère, les recherches nous lèveront peut-être le voile sur ce processus. Je ne me souviens plus de quels vignerons, mais j’en ai rencontré certains qui fonctionnaient en faisant cet assemblage, pour « assouplir » le typé orange qui parfois déroute les dégustateurs. Cela dépend entre autre du cépage choisi. Tous les Muscats à petits grains en macération dégustés, notamment en Alsace, étaient élaborés uniquement avec des raisins macérés pressés et avaient cette aromatique terpénique, exubérante.

      N’hésitez pas à me tenir au courant de vos expériences sur les blancs de macération, le sujet m’intéresse beaucoup et chaque nouvel élément enrichit les connaissances encore minces sur ces vinifications.

      Bien à vous,

      Julien

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